C’était le 14 décembre 1974. Il gelait fort à Bernate Ticino. Nous avons diné dans une auberge de campagne, au bord du canal qui descend vers Milan. Puis, dans la bibliothèque de l’antique abbaye, nous nous sommes réunis pour discuter de ce que nous voulions devenir.
Nous avions la certitude et la volonté de rester ensemble pour perfectionner nos connaissances et pour confronter les expériences et les activités que chacun d’entre nous avait entre les mains. Nous étions pauvres et peu nombreux, mais disponibles.
Nous avons jeté sur le papier nos idées, comme un grain de sénevé dont nous espérions qu’il deviendrait un grand arbre.
Plus tard, nous sommes sortis dans la nuit froide. Les roues de nos voitures étaient emprisonnées dans la glace, mais nous plaisantions et nous étions heureux: Ce que nous voulions, la grande Utopie était née!
Du Dictionnaire Robert:
Utopie: conception politique ou sociale qui ne tient pas compte de la réalité
Est-ce que parler de Projet Utopie veut dire que Pédagogie Globale construit son histoire sur une illusion pédagogique, une chimère étrangère à toute sorte de concret? Pas du tout!
Notre «école» pédagogique a toujours favorisé le développement culturel et formatif des professionnels appartenant à diverses sciences (psychologie, philosophie, pédagogie, médecine, économie, sociologie, droit), intéressés aux problèmes éducatifs et au développement global de la personne humaine, dans ses processus, ses relations, ses attentes.
Chacun de nous a toujours été invité à faire la lumière sur l’idée qu’il avait de l’homme et de sa destinée (du domaine de l’anthropologie philosophique) pour être mieux à même de focaliser les problèmes essentiels de la pédagogie:
-pourquoi éduquer
-qui éduquer
-comment éduquer
Quelques solides références sont à la base de notre parcours:
La vision personnaliste de l’homme et la conviction profonde que, dans tout être, il existe un potentiel à valoriser; seuls des formateurs compétents peuvent aider à traduire ces potentialités en capacités. C’est pourquoi nous avons toujours été sollicités à embrasser tous les champs de l’art, de la poésie, de la musique, mais aussi de la politique, de l’économie, etc… parce que plus l’homme est cultivé plus il sait exercer l’esprit critique, il sait cueillir le positif et le négatif de chaque situation et trouver les réponses adéquates.
Plus généralement, la connaissance et le développement culturel permettent au formateur et au formé de faire la lumière dans leur vie, de se connaître et de connaître les autres, de parvenir à une vision organique de la réalité et d’en accepter les défis.
La personne cultivée est comparable à un radar, à une antenne toujours prête à capter ce qui est positif.
La culture suppose une relecture constante de soi-même et, en même temps, elle facilite la recherche externe. Pour favoriser le développement de soi-même et des autres, il faut se mettre en chemin pour rechercher, pour découvrir et s’ouvrir aux idées, se faire pèlerin: il faut être bon marcheur et bon compagnon de route.
Le professionnel des services à la personne est donc celui qui connaît parce qu’il recherche, qui marche à côté, guide, partage les expériences, explore et suggère en créant les conditions les meilleures, jusqu’à ce que l’autre soit capable de s’autodéterminer.
Il doit être un connaisseur et un bon interprète des besoins de l’autre, un promoteur de changements qui s’auto-éduque pour pouvoir éduquer.
Il considère l’autre et le traite avec dignité.
Il ne s’enfuit pas devant le mur de l’impossible, il accepte les défis et continue à rechercher les conditions les meilleures pour que l’autre grandisse.
Il est Maître, c’est à dire celui qui sait quelque chose de plus mais qui aide l’autre à devenir protagoniste de sa propre existence en recherchant constamment le Vrai, le Beau et le Bon.