ET SI NOUS PARLIONS DU SERVICE PUBLIC ?
Souvent l’efficacité des actions de protection de la personne est compromise ou devient aléatoire à cause d’une définition incertaine de concepts fondamentaux. Il convient donc de dédier une plus grande attention à l’approfondissement sémantique de chaque concept si nous voulons développer un langage commun privé d’ambiguïté.
Prenons, par exemple, une liste de paroles clés essentielles dans le cadre des politiques sociales et des relations entre les sujets actifs et passifs qui y sont impliqués (par sujet actif, nous entendons le fournisseur de la prestation et, par sujet passif, nous entendons le destinataire ou l’usager de cette prestation).
Il est probable que nos interprétations personnelles de leur signification soient assez divergentes de personne à personne : service Vs prestation ; activité Vs fonction ; volontariat Vs non profit ; usager Vs client ; efficience Vs efficacité ; monitorage Vs contrôle ; subsidiarité verticale Vs subsidiarité horizontale.
Alors, si le dicton « les paroles sont porteuses de signification et, donc, d’actions » est encore vrai, il convient de vérifier notre interprétation du concept de « service public » pour garantir que nos actions présenteront un niveau suffisant d’homogénéité et de compatibilité.
Commençons par le substantif « service ».
Dans son origine sémantique, la parole « service » était liée directement à la parole « serf » (qui avait elle-même remplacé la parole « esclave ») et elle indiquait la prestation de travail due par le serf au bénéfice de son patron.
Donc, le service ne représentait pas l’acteur mais son activité, que l’on entendait comme une activité utile déterminée par l’intérêt et le bien de son patron.
On peut donc représenter la relation entre ces trois éléments de la façon suivante :
Un serf qui fournit
> une prestation utile ou « service »
> à un patron qui demande ou impose
Cette définition du service est-elle encore valable aujourd’hui ? Certainement, même si on ne parle plus ni de serf ni de patron.
Aujourd’hui nous pouvons représenter la relation préexistante de cette façon :
Un ou plusieurs professionnels en mesure de fournir
> une prestation utile ou « service »
> à un client-usager qui demande … et difficilement impose !
Et nous notons deux éléments importants :
– tout d’abord, il est facile de constater que le seul élément qui n’a pas été modifié au cours des années est « service » qui consiste toujours dans la production d’une activité utile pour quelqu’un ;
– en outre, nous nous trouvons dans la nécessité de clarifier la signification correcte de la formule «clients Vs usager ».
Qu’en est-il alors du « service public » ?
Si nous partons du principe que le service est une activité utile à quelqu’un, que devons-nous comprendre quand nous parlons de service public ?
Commençons par l’adjectif : public dérive de l’adjectif latin « publicus » qui signifie : « du peuple, d’intérêt du peuple ». En effet, la « Res publica » des Romains représentait tout ce qui était considéré comme étant l’intérêt commun à tout le peuple romain.
Et aujourd’hui nous devons nous poser la question : quand une activité utile pour le demandeur devient-elle publique ?
Le service public
Certains affirment que l’activité devient service public quand elle est exercée par une organisation soumise dans sa constitution, son organisation et son fonctionnement, aux normes du droit public, posant de cette façon l’équation suivante :
Service public = organisation publique.
À partir de cette conception dérive, habituellement, une échelle de priorité dans la légitimation des différentes organisations susceptibles d’exercer une activité d’utilité publique ; elle est basée sur les différences de statut juridique existant entre les trois modèles d’organisations présentes dans nos sociétés où elles exercent une activité importante pour la réalisation du bien commun :
- Il y a tout d’abord les organismes soumis aux règles du droit public en tant qu’ils dépendent d’institutions territoriales (Etat, région, département ou commune) ou d’organismes publics fonctionnels tels que les hôpitaux ou les universités.
- Puis, il y a des organismes réglementés par le droit privé et plus particulièrement par les normes concernant les associations et fondations qui agissent sans but lucratif et qui, en conséquence, sont classés comme organismes « no profit »
- Enfin, il y a toutes les organisations qui sont réglementées par les normes de droit privé concernant les sociétés, dont les activités peuvent bien-entendu contribuer alla réalisation du bien commun mais qui agissent aussi dans l’intention d’obtenir un profit économique par la mise sur le marché du résultat de leur activité.
Pour établir l’échelle de légitimation dans l’exercice d’un service public, l’échelle de priorité la plus diffusée dans les pays occidentaux est celle qui s’inspire au dicton latin « Ubi major, minor cessat » que l’on pourrait traduire par «là où intervient le plus grand, le plus petit doit se retirer» Ce qui amène très souvent à établir la chaîne de priorité suivante :
- le major dans l’absolu è l’organisme de droit public
- le minor dans l’absolu è l’organisme privé profit
- A mi-parcours se placerait l’organisme privé no profit
Le défaut majeur de cette chaîne est que, ce faisant, on déplace l’attention de l’importance de l’activité pour le bien-être de la collectivité vers la nature juridique de l’organisme-acteur, nature qui en soi est tout à fait neutre à cet égard.
C’est la raison pour laquelle nous proposerons une autre définition du concept de service public.
Le service public è :
- une activité d’intérêt général (certains diraient « d’intérêt collectif » oubliant que ce dernier adjectif comporte un degré assez élevé d’ambiguïté) ;
- exercée par une institution publique ou sous son contrôle
- et qui jouit, dans ce but d’intérêt général, de prérogatives particulières destinées à en permettre la réalisation effective, au bénéfice du peuple et en garantie des droits fondamentaux de la personne.
Evidemment, il n’est pas facile aujourd’hui de déterminer avec une absolue certitude la limite entre l’intérêt exclusivement privé et l’intérêt de la généralité des citoyens. Que peut-on dire à cet égard d’une opération de chirurgie esthétique, de la production d’une bouteille du meilleur Champagne ou de l’illumination de la Tour Eifel ?
Nous nous limiterons donc pour l’instant à considérer que toutes les activités de protection de la personne (ou de sauvegarde de l’environnement) sont des activités de service public et cela indépendamment de la nature publique ou privée de l’organisme qui les exerce.
Cependant, l’adhésion à cette définition du service public ne nous dispense pas de la nécessité d’éclaircir trois problèmes ultérieurs.
- tout d’abord, la répartition des responsabilités entre la société civile et les institutions. Qui répond de quoi ?
- ensuite, la différence entre programmation et projet
- enfin, les conséquences en terme d’accès aux financements publics, puisque cet accès est l’élément essentiel de ces fameuses prérogatives particulières qui conditionnent principalement la possibilité réelle d’une action efficace et, donc, la qualité effective du service rendu.
Les responsabilités
Nous avons affirmé précédemment que l’activité de service public est exercée par une institution publique ou sous son contrôle. Prise à la lettre, cette affirmation devrait signifier que la responsabilité ultime du service public concerne l’organisme de droit public. Et il en est bien ainsi pour la simple raison que les institutions publiques sont investies par la constitution du devoir de garantir le bien commun du peuple qui les a instituées.
Mais nous rappellerons aussi que ce principe est présent depuis plus d’un siècle dans la doctrine sociale de l’Eglise catholique comme nous l’avons explicité dans notre texte sur le principe de subsidiarité.
La responsabilité des institutions est donc une responsabilité de garantie que tout ce qui sera fait pour le plein développement de la personne est compatible aussi bien avec le bien-être individuel qu’avec le bien commun.
Cependant, affirmer cela ne signifie pas revenir en arrière sur ce que nous avons affirmé précédemment.
Programmation et projet
Par programmation, nous entendons ici la définition des lignes générales et des contenus globaux de la politique de tutelle des citoyens. Elle se réalise tant au niveau national que territorial en suivant les différents niveaux de la subsidiarité verticale.
Par projet, nous entendons la traduction en projets opérationnels détaillés des contenus de la programmation générale, aussi bien nationale que territoriale.
Nous pouvons alors affirmer que la différenciation des responsabilités se base sur le fait que:
- la responsabilité de garantie est rôle primordial des institutions publiques, tant nationales que territoriales;
- alors que le niveau de la préparation et de la réalisation de la fourniture concrète des activités de service public doit mettre en jeu le principe de subsidiarité correctement entendu comme concernant tant la verticalité que l’horizontalité; en particulier, une hiérarchie d’intervention qui serait basée sur la nature juridique du fournisseur serait en contradiction flagrante avec le principe de subsidiarité mais aussi, ce que l’on oublie trop facilement, avec les principes de solidarité et de participation responsable à la réalisation du bien commun (cf. le texte sur le principe de subsidiarité).
Le problème du financement
Commençons par rappeler que parler de financements publics signifie se référer aux financements fournis par le peuple[1]pour permettre de soutenir le coût aussi bien des interventions de protection des personnes que de la réalisation du bien commun.
Ce serait donc une erreur de considérer ces financements comme étant à la disposition des institutions publiques pour des interventions qui ne seraient pas l’objet d’une concertation avec la société civile.
Nous rappellerons ensuite que nous avons relevé l’importance de considérer l’accès aux financements publics comme étant une prérogative fondamentale qui doit permettre de réaliser efficacement les activités de service du peuple. Cela suppose à la fois de procéder à une correcte évaluation des coûts, mais aussi d’en assurer la couverture intégrale.
Cela nous conduit à remettre en discussion le concept de « no profit » car il devient de plus en plus évident que, dans l’actuelle situation de pénurie de ressources économiques, le recours à l’intervention du secteur « no profit » peut devenir une solution commode du problème pour les budgets gérés par les institutions publiques: il suffit de le faire travailler à perte, par exemple en imposant des rétributions inférieures aux tarifs normalement appliqués aux différentes professions utilisées. Il devrait pourtant être évident que travailler à perte est une situation bien différente que travailler sans but lucratif.
Essayons alors de redéfinir le no profit comme le fait de recevoir un paiement qui n’excède pas, mais qui couvre intégralement, le montant des dépenses nécessaires pour la production efficace du bien ou des activités qui sont offerts.
Pour obtenir ce résultat, il conviendrait de mettre à jour la formule qui est utilisée pour l’analyse des coûts. Très souvent, on travaille à l’aide de la chaîne suivante :
– repérage des ressources disponibles -> évaluation d’un coût standard -> choix des activités à financer -> avantages espérés.
Cette chaîne devrait être remplacée par la suivante :
– repérage des améliorations nécessaires -> services à activer -> coûts réels -> vérification des ressources disponibles -> éventuelle détermination des priorités -> paiements conséquents.
Nous conclurons notre discours par le problème des contrôles.
Quelques règles à respecter :
- éviter de réduire le contrôle à la seule prévention des comportements dangereux ou délictueux ;
- garantir la mise en route de toutes les synergies et compétences disponibles pour que le système devienne un vrai système de protection de la personne ;
- garantir la collaboration constante e correcte entre la société civile et les institutions qu’elle a choisies et activées en vue d’une réalisation effective du bien commun.
Genevieve Ninnin Dell’Acqua